Fatouma HARBER, blogueuse de Tombouctou: il faut beaucoup de détermination et de la conviction pour réussir en tant que femme au Mali.

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Psychologue, enseignante, blogueuse et activiste, elle est l’une des plus actifs des bloggeurs maliens. Fatouma évolue dans le militantisme, utilisant non seulement le Web pour des causes nobles, mais aussi pour susciter une prise de conscience auprès de la jeunesse malienne. C’est dans ce cadre qu’elle est l’une des  initiatrices du premier social tech hub de Tombouctou : SankoréLabs.
On peut sans se tromper définir son activisme sur les réseaux sociaux,  de constructif et de citoyen avec comme but de promouvoir les droits de l’homme, la paix et la réconciliation, la formation des jeunes, l’Internet, et la liberté expression, en un mot le développement.
Elle répond aux questions de maliennemoi.org

Expliquez-nous en quoi consiste le métier de bloggeur ? Est il compris au Mali ?
Le métier de blogueur peut se définir comme une veille citoyenne de tout haleine. Le blogueur peut être engagé  (comme moi) ou complétement en retrait de la vie sociologique politique selon le domaine qu’il choisi. Le blogueur s’exprime sur les réseaux sociaux, influence certains, dirige certains débats.  Le blogueur n’est pas compris au Mali. J’ai l’impression que les autorités nous prennent pour des têtes brûlées, alors que nous faisons un travail constructif et nous œuvrons pour la liberté d’expression. Cela nous a étonnés par exemple que les blogueurs n’eussent pas eu des accréditations pour le sommet Afrique France alors que nous étions 3 blogueurs maliens à être invités au sommet de la Francophonie à Tananarive.

Pourquoi avez vous fait ce choix des réseaux sociaux ?
J’ai fait le choix d’utiliser les réseaux sociaux par affinité. Je suis une personne qui aime communiquer, échanger, mais aussi enseigner… en luttant pour que la communauté des blogueurs du Mali soit une association, j’espère apporter ma pierre à l’édifice d’une démocratie au Mali. Les blogueurs ne sont pas que des blogueurs ai-je l’habitude de dire. Les jeunes sont de plus en plus dans les réseaux sociaux et il est possible de les éduquer à la citoyenneté, au civisme et à la participation par ces moyens.

On sait que le métier de bloggeur a encore du chemin à faire au Mali. Comment votre choix est-il perçu à Tombouctou spécifiquement ?
A Tombouctou c’était plutôt difficile. Les proches font beaucoup de reproches de mise en garde. Je les comprends… ils ont peur pour moi. Mais je pense qu’exprimer son opinion ne doit pas être un crime ou une quelconque faute. Maintenant, beaucoup de jeunes s’intéressent au blogging ici et nous espérons produire le maximum de données numériques depuis Tombouctou malgré cette fracture numérique nationale (la connexion internet au Mali est minable en générale, et celle que nous avons à Tombouctou n’est pas descriptible)

Avez-vous vécu une expérience extraordinaire en tant que blogeuse ?
Oui ! Etre connue et reconnue juste pour mon travail de blogueuse est la chose la plus extraordinaire pour moi. Et j’étais vraiment bluffé que l’équipe de droit libre TV fasse le voyage jusqu’à Tombouctou, dans ce contexte d’insécurité et d’enlèvement pour produire une vidéo sur moi !

Il semble que vous avez eu un contact inattendu avec le Président Obama, pouvez vous partagez avec nous cette expérience?
Ah oui ! J’ai eu la surprise de voir que j’avais dans mes contacts un follower très particulier, le Président en exercice des États-Unis Barack Obama himself, qui suivait ce  que je relatais sur Twitter pendant l’occupation de Tombouctou.

Parallèlement vous êtes professeur de psychopédagogie et d’informatique ?
Oui. J’ai une formation de psychologue et une vocation pour l’enseignement. J’enseigne la psychopédagogie depuis 10 ans maintenant à l’institut de formation des maîtres Hegire de Tombouctou où, nous formons des maîtres bilingues de l’enseignement fondamental.  Je suis la première femme à y enseigner. Cela n’a pas été facile. Je me suis imposée et je dois dire que certains de mes collègues ne me portent pas dans le coeur. Le combat pour l’égalité des sexes reste une lutte de longue haleine que toutes les femmes travailleuses mènent au Mali.

Parlez nous de la première  tech hub SANKORÉLABS de Tombouctou ?
SANKORÉLABS est un projet que j’ai réalisé avec un petit frère informaticien avec qui je partage non seulement l’amour pour notre ville natale Tombouctou, mais aussi les nouvelles technologies.  Nous avons pensé qu’un tiers-lieu qui favorise la production de données numériques sur Tombouctou et un appui pour la formation des jeunes est une nécessité. Nous sommes partis du leg de matériel informatique par une ONG américaine pour laquelle j’étais chargée de projet ( Flag International Mali) pour lancer notre tech hub. Nous sommes bien satisfaits des actions que nous arrivons à faire malgré le manque de soutien de la part de l’Etat.  On ne peut pas tout attendre de l’Etat. Il faut avoir des initiatives. Nous avons pris les devants et nous sommes déterminés à faire de ce tech hub un endroit où se développerons les nouvelles technologies au Mali.

Avec les femmes de votre région vous vous êtes fixé aussi des challenges, comment envisagez vous de les atteindre ?
Avec les femmes de ma région, les challenges que je me suis fixés sont ceux du leadership et de l’entreprenariat. La tombouctienne est une battante par excellence. Elles ont constitué beaucoup d’associations. Moi je les mets en réseaux pour coordonner et orienter les actions. Monter des projets qui ont un impact positif sur l’environnement. Les femmes sont des acteurs importants du développement durable. Je coordonne un projet de plaidoyer avec un consortium de 3 associations de femmes et de jeunes qui tourne autour de la sensibilisation pour changer les comportements en matière d’hygiène et d’assainissement à Tombouctou.  Nous avons eu une année pour animer ces groupes et permettre aux femmes d’être les actrices du changement positif. Nous voulions continuer ce projet avec une lutte contre les déchets plastiques qui menacent les animaux.

Qu’est ce qui bloque à l’épanouissement entière et totale de la femme malienne?
Certaines de nos coutumes et la suprématie des hommes sur les femmes sont les plus grands freins que je connaisse à l’épanouissement de la femme au Mali. Les travaux ménagers et certaines tâches qui reviennent à la femme viennent rendre les choses encore plus difficiles. Il faut beaucoup de détermination et de la conviction pour réussir en tant que femme au Mali. Les coutumes sont un conditionnement précoce des filles pour une vie au foyer. Chaque femme doit lutter pour la scolarisation de tous ces enfants filles comme garçons. Beaucoup ont quitté l’école suite à la crise notamment celles qui ont été violées sans assistance quelconque certaines se sont mariées de force. Les mères se battent, mais l’école est abandonnée à son sort au nord.

Blogeuse, professeur, entrepreneure, qu’est-ce qui vous amène sur tous ces fronts à la fois ?
C’est la passion, la détermination, la conviction de ne pas faire un travail inutile qui me donne du courage pour continuer à faire, me battre sur tous les terrains qui s’offrent à moi. Je pense que nous avons un devoir d’action envers nos enfants.

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